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Pierre Pirard, réalisateur de Nous tous

Publié le 01/09/2021 par Constance Pasquier et Kevin Giraud / Catégorie: Entrevue

De consultant à enseignant, d'enseignant à écrivain, d'écrivain à réalisateur. Avec Nous tous, Pierre Pirard signe un premier film d'une positivité qui fait chaud au cœur. Sans être naïf, cet essai didactique sur le faire ensemble nous fait voyager vers celles et ceux qui, à travers le monde, réussissent à dépasser la peur de l'autre pour réfléchir aux sociétés de demain. Rencontre avec ce cinéaste passionné et optimiste autour d'un projet documentaire plein d'espoir pour l'avenir.

Cinergie : D'où vous est venue l'envie de faire ce documentaire ?
Pierre Pirard : Nous tous
, c'est d'abord le fruit d'une rencontre. La rencontre cruciale avec les élèves de l'école où j'enseignais à Molenbeek d'une part, et d'autre part dans ma vie personnelle, la confrontation directe avec les attentats de 2016, alors que je me trouvais par hasard à la sortie du métro Maelbeek le 22 mars 2016. De là m'est venue la question : "Comment ce fait-il que dans notre monde occidental, on n'y arrive pas, ce faire ensemble, alors que certains y parviennent dans d'autres pays, dans d'autres sociétés ?" L'idée, c'était donc de voir s'il était possible de montrer des histoires positives, de montrer que ce faire ensemble est possible, et à partir de là, imaginer ce que pourrait être une société multiculturelle et multi-identitaire.

C. : Vous aviez déjà une expérience dans le monde du cinéma ?

P.P. : Pas du tout. Enfin, presque, car c'était une passion que j'avais à l'adolescence. Je voulais faire l'INSAS à l'époque, mais j'ai finalement pris un autre chemin. Cela faisait donc des années que je n'avais pas touché une caméra, tout cela était complètement nouveau pour moi, et je suis vraiment tombé dedans avec ce projet. Ce que j'ai découvert en faisant ce film, c'est que le métier de cinéaste est certainement un des plus prenants et des plus lourds de ceux que j'ai été amené à découvrir dans ma vie. Parce que c'est un métier ou une passion qui nous anime jour et nuit.

 

C. : Et vous étiez déjà un amateur ou un féru de documentaire ?

P.P. : Complètement, et d'ailleurs cela est également dû à la présence de plus en plus forte des documentaires en salles ou sur les plateformes. Ils bénéficient de plus de visibilité, cela amène à de belles découvertes, et c'est quelque chose qui me passionne.

 

C. : Dans le film, vous êtes seul à l'écran avec les personnages que vous rencontrez, mais comment s'est déroulée la mise en place du projet avec votre équipe ?

P.P. : Une autre des choses que j'ai constatée et que j'ignorais dans le milieu du cinéma, c'est cette importance du travail d'équipe. Quand on part faire un documentaire dans six pays différents, il faut évidemment qu'il y ait une équipe soudée derrière le projet. Cela m'a pris du temps d'identifier les personnes avec qui j'avais envie de collaborer, mais je crois que les choix ont porté leurs fruits car nous avons pu maintenir la même équipe lors des six voyages pour le tournage. Dès le départ pour chaque territoire, on passait pas mal de temps sur le briefing, sur le contexte, qui on allait rencontrer sur place, comment l'interview allait se dérouler, etc. Mon but était que l'ensemble de l'équipe, de l'assistante de réalisation jusqu'au preneur de son, soit impliquée dans les histoires également. Cela s'est ressenti tout au long du tournage, il y avait une réelle émotion vécue par tous les participants. Ce n'était pas seulement une équipe technique à l'œuvre mais bien une équipe de réalisation qui s'impliquait de bout en bout dans le projet. Cette dynamique s'est d'ailleurs poursuivie en montage et en post-production.

C. : En parlant de ces témoignages recueillis, qu'est-ce qui a guidé les choix de lieux, et de témoins ? C'était une évidence pour vous, ces six pays ?

P.P. : Cela ne se voit pas dans le film bien sûr, mais derrière cette sélection il y a un travail colossal de recherche qui s'est étalé durant toute l'année 2017. Des heures et des heures de desk research, pour identifier ces pays où il y avait des histoires de faire ensemble, et arriver au final à une sélection de 25 pays. Ensuite, il a fallu faire un tri, essuyer les refus d'autorisation de tournages de certains pays, et finalement en 2018 nous sommes partis avec un caméraman filmer 31 histoires dans les différents territoires identifiés. De retour en Belgique avec cette masse de contenu, il a fallu faire des choix - parfois difficiles - pour sélectionner finalement les 8 histoires qui sont reprises dans le film final, et effectuer le tournage en 2018-2019. Il y a eu un vrai travail de structuration narrative durant ces différentes étapes, pour tirer les fils nous amenant d'une histoire à une autre, tout en contactant une personne qui va ensuite vous renvoyer vers une autre, et ainsi de suite. 2020, ce fut l'année du montage et de la post-production, et nous voilà.

 

C. : Combien de temps avez-vous passé sur place ?

P.P. : Une quinzaine de jours pour le tournage, et une dizaine de jours consacrés aux repérages. En tout, 20-25 jours dans chacun des pays pour rencontrer les protagonistes, et leur expliquer les objectifs du film.

 

C. : Quels sont-ils ces objectifs d'ailleurs ? On sent votre background d'enseignant dans l'approche pédagogique du film, c'est quelque chose que vous aviez déjà en tête dès le début du projet ?

P.P. : Oui et non. La collaboration avec le monteur Matthieu Piérart a été très importante en ce sens, c'est là que le film a à nouveau été construit, et ce côté pédagogique et séquentiel est venu au fur et à mesure de cette étape de la production. Je l'avais déjà en tête bien sûr, le projet allait déjà dans cette direction sur le papier, mais cela s'est vraiment confirmé lors du montage. Toutes ces étapes m'ont permis de mettre en ordre mes idées et comprendre encore mieux le passage de la phase d'écriture à la phase de réalisation puis à la phase de montage. Comment structurer le film, comment le chapitrer, pour amener le spectateur à découvrir comment moi-même j'ai vécu cette quête du faire-ensemble, comment les histoires m'ont amené à cette réflexion et à cette conclusion : en fait, c'est possible, et il faut très très peu de choses. Alors on pourrait croire qu'on tombe dans une certaine naïveté utopique, ce qui est probablement l'une des critiques qu'on fera au film, mais je l'assume. À partir du moment où l'on fait ce genre de film, je ne pense pas que l'on nie les problèmes existants - d'ailleurs le prologue y est consacré - mais je pense qu'il faut sortir de ces difficultés et montrer que cela peut fonctionner.

C. : Car votre but derrière ce film, c'est de susciter les émulations et de montrer un autre espoir ?

P.P. : Le vrai but du film, c'est de faire bouger les lignes. Si on arrive avec ce documentaire à faire ne serait-ce qu'un tout petit peu évoluer celles-ci, c'est déjà une réussite. Si le spectateur après avoir vu le film peut se poser la question : "qu'est-ce que je fais moi dans mon quotidien pour faire un pas vers l'autre?", s'il peut avoir ce début de réflexion, alors c'est déjà gagné.

 

C. : Ce qui est intéressant dans votre film, c'est que plutôt que de vous poser en tant qu'intervieweur, en tant que moteur du récit, vous mettez vos personnages au centre du documentaire, et vous vous mettez vous-même en retrait, souvent de dos. Un choix délibéré ?

P.P. : Oui, cela a été clairement un choix au départ, et c'est quelque chose qui a été confirmé lors du montage. Cette idée de m'avoir de dos, comme fil conducteur du récit, avait déjà été envisagée lors du tournage parce que cela me semblait un bon moyen de structurer l'histoire, mais je n'étais pas sûr de vouloir l'utiliser et en tous les cas je ne voulais pas m'utiliser moi-même. Au final, c'était intéressant d'être présent de dos comme cette sorte de conteur, mais les paroles les plus importantes sont celles des protagonistes sur place. Dans tous les pays et dans les huit histoires racontées, c'est le discours de ces hommes et de ces femmes qui peut nous permettre d'agir sur notre propre réflexion intérieure.

 

C. : Lors de la sélection de témoignages, vous avez fait le choix de montrer plutôt des récits positifs, engageants. C'est dans l'idée de motiver plutôt que de casser les élans ?

P.P. : Complètement. Je ne veux pas taper sur les médias pour le principe, mais j'ai tout de même l'impression que nous sommes, dans la plupart des cas, dans une parole ou dans des écrits médiatiques qui sont tournés autour de la peur. On sort d'une crise qui a fortement misé là-dessus, et c'est vrai qu'il faut se protéger bien sûr, mais il ne faut pas pousser ce facteur peur comme un élément marketing pour faire vendre. Or, j'ai vraiment l'impression que c'est ce qui fait vendre, que ce soit dans la littérature, dans les documentaires ou dans les reportages télévisuels. Et donc moi je voulais vraiment prendre le contrepied. Il y a des choses extrêmement positives qui se passent, montrons-les ! Donc oui clairement, que ce soit dans le livre Vous n'êtes pas des élèves de merde ou dans le film Nous tous, la volonté est bien de montrer des choses positives, car cela fait aussi partie de nos vies.

 

C. : Dans Nous tous, vous avez choisi de traiter de "l'ailleurs". La plupart des témoignages sont très éloignés géographiquement, même si quelques-uns ont lieu en Europe. C'était une vraie volonté, ou bien parler de "l'ici" était trop proche des gens ?

P.P. : C'était un long débat entre moi et moi-même. Allais-je revenir à Molenbeek à la fin, ou en Belgique ? J'ai décidé de laisser ouvert la partie belge, notamment parce que je souhaitais que le film puisse être diffusé à l'international, et je voulais donc éviter de trop l'ancrer dans une problématique belgo-belge. Il est évident que j'avais des histoires fabuleuses de ce qui se passe ici en Belgique. Celle des groupements scouts Musulmans et chrétiens collaborant pour des activités en est un bel exemple, et il y avait de belles choses à raconter dans cette voie, ou dans d'autres. Mais c'était une volonté de ne pas boucler la boucle. C'est intéressant car on m'interpelle souvent sur le sujet, mais je pense qu'au final c'est pour un mieux, cela laisse la place aux associations de prendre le film, et de le compléter en y incluant leurs actions, leurs histoires.

 

C. : Nous tous, bien malgré lui, est un film qui arrive après une crise mondiale où l'autre est devenu distant, où la peur de l'autre a été exacerbée. Comment sera demain selon vous ?

P.P. : Difficile à dire. Moi qui suis un optimiste de nature, j'ai envie de croire que nous allons nous rapprocher, avoir envie d'aller de nouveau vers l'autre. Mais cela va-t-il se passer? Un certain réalisme me pousse à faire le contrepied de cette opinion, mais j'espère qu'on va vraiment pouvoir ouvrir les barrières et aller vers l'autre. Le repli identitaire et démagogique va-t-il continuer à exister? Ou bien va-t-on au contraire aller vers une société plus plurielle ? Je n'ai pas la réponse malheureusement, mais je penche pour la deuxième solution et je l'espère profondément.

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